11 mai 2004, Machad (Iran) Km 907

Salam,

Par quoi commencer ? Difficile... Bon... Tu prends un pays, l'Iran, par exemple, tu enlèves les taxis de l'aéroport qui sont comme dans tous les pays des arnaqueurs, le premier col grimpé sous la pluie et franchi dans le froid, la tempête nocturne vécue sous la tente, le vent et la route au revêtement immonde de la journée d'hier et il ne reste que du bonheur...
J'ai retrouvé l'Iran que j'avais quitté il y a 4 ans plein d'optimisme. Pourtant, les évènements politiques récents (élections pipées) étaient inquiétants. Pour les Iraniens, ces élections n'ont même pas existés, ils les ignorent et poursuivent leur révolution silencieuse. Partout le même discours... les mollahs et autres ayatollahs, ici on en a raz la barbe. Mais pas de sentiments violents, pas d'évènements sanglants en vue, c'est du moins ce que je ressens. L'Iran nouveau est en marche, rien ne l'arrêtera, la nouvelle génération est rayonnante, généreuse et pleine d'humour sur sa situation. Les barbus finiront par rentrer dans les mosquées. L'Iran laïque n'est sans doute pas pour demain, mais il en prend le chemin.
Le plus bel exemple est ce jeune couple, même pas fiancé, qui déambule main dans la main dans l'antre des mollahs qu'est le gigantesque Bazard de Téhéran, et qui nous consacrera spontanément une partie de sa journée. Merci à vous, Medhi et Maryam...
Une des interrogations fréquentes et inquiètes de la jeunesse est l'image que l'on a de l'Iran et des iraniens.

Bon faut maintenant que je vous cause voyage... Les 2 premiers jours se passent sans difficulté... une chaleur à peine printanière due à une perturbation orageuse...

conséquence, dès le premier bivouac, il nous faut monter les tentes, le ciel étant peu engageant...
Bonne pioche, vers 3h du matin les premières gouttes s'accompagnent d'un vent violent et même plus. Il ne pleuvra quasiment pas mais les tentes sont soumises à rude épreuve... Au matin, le calme revenu, je réalise que mon choix en matière de guitoune ne fut pas le bon... explications... : L'habitacle intérieur en tissus moustiquaire, c'est bien pour la chaleur... mais pas pour le vent de sable... en l'occurrence un limon ocre balayée par le vent et qui au réveil tapisse le sol, le duvet et son habitant...


Neige et nuages accrochés sur les Mazandarans

Le 3ème jour est celui de notre premier col (1978m) C'est un test pour moi car c'est la première fois que mon barda dépasse les vingt kilos. 44kg en tout, vélo remorque et matériel, précision nécessaire pour expliquer que les pentes à 4% se grimpent à 10km heures et qu'au-delà des 7% c'est pied à terre.

Dès les premières pentes, nous subissons les premières gouttes, mais le vent nous aide. Quelques 4 heures et 30km plus loin, par 10 degrés nous franchissons la passe et nous réfugions un peu plus bas dans une gargote bien chauffée, voisinant avec un de ces très anciens caravansérails qui jalonnent la Route de la Soie. Nous ne le visiterons pas. Une heure plus tard, la route sera sèche, le soleil reviendra et les sommets enneigés des Mazandarans s'offriront à nos yeux sans cesse émerveillés.

Le 4ème jour, nous passerons à travers les orages qui éclatent sur les reliefs alentours, nous gratifiant au passage de 2 heures d'un vent violent dont je ne vous parlerais pas s'il n'eut été de face...


ancien caravansérail de Miyandast

Depuis, c'est le grand beau temps, soleil et chaleur, mollets rouges, lèvres brûlées et nez pelé... paysages grandioses, montagnes en camaïeux d'ocres de céladons et de rouge, steppes immenses alternant avec de grandes vallées cultivées presque essentiellement de céréales, lac salé asséché développant ses mirages et puis et puis (répétition volontaire ) chaque jour des rencontres lors desquelles on nous offre, une banane, une boisson, des fruits, un concombre ou simplement un bonbon... Je peux vous dire que nous, occidentaux égoïstes et nantis, on se sent un peu con... J'vous jure que ça remet les pendules à l'heure.


Lac salé asséché en lisière du désert Dash é Kévir

Vallée en terrasse près de Nishapour

Que dire encore... nous arrivâmes au terme de la 7ème étape, après avoir descendu une vallée bordée de maigres vignes où ânes et paysans tiraient l'araire, dans la patrie d'Omar Khayyâm... (à vos encyclopédies) le poète qui chanta le vin et les femmes. Précisions pour les ceux-ce qui z'ont pas d'encyclopédie... A l'heure ou nos ancêtres sales et incultes guerroyaient contre "l'Infidèle", l'Infidèle lui brillait dans les mathématiques, la connaissance des astres et du monde. Khayyâm fut à ce titre le plus savant successeur d'Avicenne... C'était la séquence culturelle.


labours de vignes...à l'araire....

Et puis il y eut la journée d'hier que l'on s'empressera d'oublier, non que les paysages ne fussent point beaux, les chiens de prairies au garde à vous ou le soleil au rendez-vous, mais le vent, oh ! Putain le vent... et la route de merde... capable d'abîmer le cul le plus tanné, de casser le matériel le plus solide... j'aurais préféré une mauvaise piste. Mais enfin, au terme de 8h de selle, nous arrivions à la ville sainte de Machhad. Les pèlerins en bus nous ont doublés toute la journée. Aujourd'hui ils prient devant le tombeau de l'Imam Reza, un des premiers martyrs Chiites tandis que nous déjeunons d'un chello kebab en buvant du Zam Zam... car nous n'avons pas droit aux Lieux Saints... juste au musée.
Demain je quitterai Claude pour poursuivre ma route seul... dans 3 jours les mini-jupes remplaceront les hijabs, je serai au Turkménistan.

Pour finir je vous raconte une petite histoire : "Les moutons" Des troupeaux, nous en avons vu des centaines, mais la scène concerne la traversée de la route 44 par l'un d'eux. Les moutons pas encore tondus, trottent dans la steppe aux abords de la route qu'il leur faut traverser. Au milieu, une poignée de chèvres à longs poils. Un peu punks les bestioles, la tête ou l'échine bariolée qui de bleu qui de rouge ou d'ocre, à la bombe ou au pinceau, I don't no? A l'arrière, le bourricot brait sous son bât, pattes et crinières peinte d'ocre... peut-être braie-t-il pour dénoncer sa condition ridicule... Les bergers, deux ou trois, courent dans tous les sens pour créer quelque ensemble cohérent en vue de la manœuvre et tout cela sous l'œil nonchalant des chiens, trois, qui suivent en traînant, complètement étranger à ce qui se passe devant eux. Pourtant ce sont des kangals énormes quoiqu'un peu maigres, les mêmes que j'avais affrontés au Kurdistan, équipés de colliers à pointes. J'imaginai donc un instant une grève de la gente canine parce que mal nourrie ou trop méprisée... Ils nous ont regardé passer en levant à peine la tête, puis ont traversé, poursuivant leur vie de chien... et nous notre vie de routard...


L'âne "punk"

Les moutons...

Biz à tous,
Gégé

PS : Cote santé, ça va. Les bourrelets latéraux et la bouée centrale fondent doucement... le mollet durcit et le teint se hale...