Heureuse surprise... un tunnel m'économise 150m de dénivelé. 14 bornes, 1000m d'ascension, altitude 2117m, il est 10h30 et tu sais quoi... de l'autre coté, versant sud, plongeon jusqu'à 360m d'altitude... 70 bornes de descente. Dommage que l'état de la route ne me permette pas de lâcher les freins... Les herbages ont disparus et les montagnes sont ici plus arides. En bas, c'est la plaine cultivée jusqu'au plus petit lopin, irriguée à outrance. C'est la région riche d'Ouzbékistan. La qualité du bitume en est le reflet... Fini les " bad roads " pour 300km. En revanche, trouver un petit espace pour planter la tente est laborieux et je devrai plusieurs fois me résoudre à m'installer en lisière d'un hameau, voir, sur un terrain de foot (qui sert plutôt de pâturage commun) avec les inconvénients d'usage : 30 gamins et adultes assistant à mon installation, me harcelant de questions que je ne comprends pas "niet, nye panimayou"... Mais ils sont chaleureux, alors comment leur expliquer que ces patates offertes ne peuvent pas cuire avec mes nouilles chinoises qui seront prêtes en 2 minutes... Leur discrétion aussi est remarquable et lorsque je commence "mon repas" ils se mettent à l'écart... pour revenir ensuite et quand je dis good night... ils s'en vont, non sans m'avoir salué... Une nuit, l'un d'eux couchera dans une couverture à coté de moi... pour "monter la garde"
Me voici donc a Bichkek... avec un jour d'avance. Pour arriver à la capitale, hier matin, j'ai fait la toilette d'Arthur... et nettoyé à l'essence sa chaîne pour lui faire oublier les éléments déchaînés... Si ton atlas est ancien, Bichkek, tu trouveras pas, faudra alors chercher Frunze (ou Frountze) C'était le nom d'un pote à Lénine venu mater quelques fortes têtes kirghizes au début du siècle (enfin celui d'avant) et qui a fondé la ville. Ici, il y a plus d'arbres que d'habitants... 100m2 d'ombre par tête de pipe. Ville agréable où il fait bon vivre, j'en conviens, malgré un urbanisme " 100% popov " Ma première visite fut pour Natacha et Philippe qui gèrent "la Maison du Voyageur" J'avais eu leurs coordonnées sur un site Internet, je les avais contactés. Ils sont formidablement sympas et je les recommande à ceux qui feront la Route... Nous avons partagé le repas, puis ils m'ont fourni des infos sur la suite de mon parcours. Ils m'ont indiqué un logement sympa chez l'habitant pour 5$ par jour et s'occupent des formalités pour mon passage en Chine par le col du Torugart. Ce fut à mon tour de faire une grosse toilette après 5 bivouacs de suite... J'ai de nouveau le menton lisse comme un oeuf et pas plus d'un millimètre de cheveux sur le crâne... Repos, farniente, logistique... peut-être une excursion en montagne dans l'Alta Archa, à une quarantaine de Km... (il y a là des téléphériques qui montent à 4000)
Puis c'est la sortie d'Ouzbékistan qui se fait à Uchqorgon sans problème et rapidement... ou presque (je perd 3 heures pour retourner en ville en bus changer la monnaie qui me reste car il n'y a pas de bureau de change à la douane...) Passé cette frontière, je rejoins la M41, ( grosso modo la route Bichkek - Douchanbé) Je ne verrai jamais de poste de douane kirghize, ni flic, ni militaire et mon visa ne sera pas tamponné... J'suis p't'être un clandestin... La M41, c'est d'abord pour moi 12 km de chantier, caillasses et poussière et je dois plonger dans les profondeurs de ma remorque pour en extraire un masque médical (que je réservais aux tempêtes de sable du Takla-makan)... Le bitume retrouvé, je fête mon entrée dans ce pays (et rince la poussière) avec 3 piwa. La piwa, c'est la bière et la ration ici, c'est le demi... litre.
Et la journée commence mal... la mise en route est précipitée par quelques gouttes... qui se transforme vite en pluie... Une quarantaine de kilomètres parcourus avec une pente raisonnable, remontant des vallées immenses parcourues par des milliers de chevaux à demi sauvages et ponctuées des taches blanches des yourtes ( pas des yaourts ignares, la yourte, c'est la tente du Kirghize - cherche dans ton encyclopédie) De temps à autre, sorti d'on ne sait où, apparaît au loin le chapeau pointu de feutre blanc d'un cavalier kirghize qui n'est parfois qu'un gamin de 7 ou 8 ans… Et au bord de la route ça et là à proximité des yourtes, les femmes vendent du koumys, le lait de jument fermenté ( non, le lait, pas la jument, mais écrire " du lait fermenté de jument ", c'est pas beau...) Après le lait de chamelle turkmène, ce fut une nouvelle expérience culinaire pour moi. La première gorgée est surprenante, les suivantes bonnes et rafraîchissantes... bien que pour le rafraîchissement ce ne soit pas nécessaire car très vite, la pente s'accentue (les 5 derniers Km à 8%) donc l'altitude s'élève et la pluie qui redouble se transforme bien évidemment, t'avais compris, en neige... et ça tient sur la route, sur Arthur et sa remorque et sur le Gégé. 10 bons centimètres. Pour l'instant en poussant la bécane, je n'ai pas froid, mais au col Ala Bel, à 3175m, après 2350 m d'ascension et un peu de fatigue... no body... pas âme qui vive... et la neige tombe trop drue pour que je déballe mes affaires afin d'y puiser quelques vêtements plus chauds... Il me faut donc descendre... je claque des dents, des genoux, des mollets, des coudes. Les pieds deviennent presque insensibles et les mains mouillées tétanisent sur les poignées de freins que je ne peux lâcher pour ne pas dépasser les 10 Km/h... 5 Km plus bas, je peux enfin m'habiller chaudement, mais ça ne résout ni mes mains mouillées ni mes pieds gelés... Ot Mok, 17km sous le col, est un hameau ou plutôt un regroupement de quelques wagons... On appelle ainsi les baraques de chantier récupérées par les montagnards et transformées en habitations ou en "restaurants". Je me réfugie dans l'un d'eux... Un couple, âgé, un poêle à charbon qui ronronne à peine, une marmite où mijote une soupe, sorte de pot au feu... Ah ! Le bonheur, c'est simple parfois. Je resterai là 2 heures, à me réchauffer pieds et mains en mangeant et en buvant du thé brûlant. Mes effets sèchent sur un fil au-dessus du fourneau... et hélas, je n'ai plus les moyens d'immortaliser l'instant... kaput les piles de l'appareil photo changées avant hier... pas supporté le froid... (donc pas de photos demain non plus... j'enrage…) Dehors le temps semble s'améliorer. Je fais encore une quarantaine de km et monte la tente dans une vallée immense, presque un haut plateau, a plus de 2000m. Il y aura encore quelques grains dans la soirée et je renoncerai à cuisiner, me contentant d'un peu de lepiochka (du pain) et d'un ersatz de " nutella "...
Le lendemain, il me faut monter la bosse. D'abord, de longues et alternantes côtes et descentes ne me font pas progresser en altitude puis au-delà d'un check point à 1100 m d'altitude, commencent les hostilités... ce n'est pas un col a l'iranienne, c'est une bosse comme chez nous, avec au pied un panneau indiquant 7%... Bof, je pense qu'il ne concerne que les premières rampes visibles... Que nenni... la suite est du même cru. Bon, ça a au moins un avantage... ça dure moins longtemps. 14 bornes grimpées à l'arraché, tout sur la bécane, mais avec d'innombrables arrêts, le décor fabuleux estompant la peine. Devant moi, le vert franc et luisant des herbages est trop pentu pour être pâturés, et lorsque je me retourne, les sommets blancs de la réserve naturelle Ugam Cotgol scintillent sous le soleil matinal.
Dobri dien, salam, bonjour, zdrastvouy...
Tian Shan, lait de jument, aigle, neige, route de rêve, champs de coton,
chapeaux pointu, troupeaux de chevaux... j'sais pas comment vous jouer la
partition... alors tant pi pour vous... ce sera mode " carnets de route ".
Je vous ai donc quitté à Tachkent en Ouzbékistan. Pour rejoindre la
vallée de la Ferghana, il y avait une "formalité", le Kamcik pass et ses 2267m...
Lorsque j'aborde les premières collines avant Angren, la chaîne du Kurama
(celle que je dois franchir) m'offre au loin ses sommets encore enneigés.
Le lendemain au réveil, il y a de la glace sur mon sac, au Sud, les Tian Chan éclatent de blancheur et quelques nuages bas me masquent encore la difficulté du jour, mais ils seront vite dissipés. Je commence ma journée dans un wagon, avec un copieux goulasch, puis le soleil réellement revenu, je peux enfin quitter les gore tex. La vallée étant large, l'ascension du Tus Achou est visible dans sa totalité... 14 lacets, 12km, 850m de dénivelé, altitude 3200m... escaladés en 2h20mn. La niaque le Gégé maintenant qu'il a posé 8 ou 10 kg de mauvais gras de l'hiver... Et vu d'en haut... le ruban d'asphalte impeccable sinuant dans les pâturages… les yourtes, petites taches blanches dans ce vert univers... le sifflement des marmottes... le ruissellement de l'eau partout... Versant nord, par delà les 3 kilomètres percés dans le roc noir a 3200m ( le col ancien était à plus de 3600m), le décor change... époustouflant... une vallée encaissée, presque angoissante, deux murs de roche rouge, pourpre et noire de près de mille mètres et entre eux, la route qui plonge en lacets vertigineux à 10% de pente, pour rejoindre la rivière Kara Balta, qu'elle suivra dans des gorges étroites et superbes sur 45 Km, puis en 2 km, la vallée s'élargit brutalement, les herbages et les bovins réapparaissent et au détour d'un virage, l'horizon, sans fin, sans montagne, sans le moindre relief, immensément plat jusqu'aux steppes kazakhs...
Je passerai en Chine le lundi 21 à 11h du matin... Eh oui ! Comme pour un échange de prisonnier, l'échange avec l'agence chinoise qui me prendra en charge pour franchir le no man's land est ponctuel... et surtout coûte 160$... payés cash et sur place... Je serai donc à Kachgar le 22... rendez-vous le 23 juin... peut-être... mais d'ici là, le lac Isyk Kol, de nouveaux les Tian Chan, et ses 3000, mais je n'ai plus d'appréhension… " ce qui ne m'abat pas me rend plus fort... " (c'est beau, ça ! j'sais plus qui l'a dit !)
Biz à tous.
Gégé et Arthur
Au-delà d'Angren, la montagne est éventrée, plaies rouges, entailles blanches, séquelles d'extractions diverses, puis, justifiant l'activité industrielle importante de la ville (sidérurgie, électricité) une immense mine de charbon à ciel ouvert que je découvre en prenant un peu de hauteur près d'un barrage fermant la vallée. La mine est au pied du barrage. Merveilleux...Dès lors, faut plus se retourner, le bonheur est devant, les fumées, derrière... Le barrage crée un lac étiré, dominé rive gauche par des falaises plongeant dans des eaux émeraude et rive droite (coté route) par des pâturages où paissent des milliers de bovins, ovins, caprins et bien que je ne pâture pas, je profite de ces herbages gras pour planter un bivouac
Ayant un peu d'avance, je me pose deux nuits à l'hôtel, à Andijan, histoire de réparer les dégâts intestinaux d'une indigestion... que j'attribue aux oeufs du petit déjeuner pris dans une gargote... C'est "children day"... ce sont les vacances scolaires qui débutent... " Kanicoular ", en russe... et les parcs publics grouillent de gosses endimanchés. Je me repose et me refais une santé.
J'ai rejoint la rivière Naryn (c'est elle qui conjuguée aux eaux rouges du Karabalta, donne naissance à la Syr Daria - dont je vous ai déjà causé) et qui, barrée en plusieurs endroits, génère des lacs turquoises qui s'étirent dans la vallée en contrebas de la route. C'est somptueux... encore que du bonheur et un bivouac sublime dans le thym sauvage. Au matin, quand j'enfourche Arthur, un aigle s'envole calmement du bord de la route. Cette route aux qualités exceptionnelles pour une route de montagne ( j'en attendais la fin à tout moment, mais elle est ainsi jusqu'a Bichkek, et ça, je ne le saurai qu'à la fin de l'histoire) est entretenue par un consortium... asiatique. Elle traverse - et moi donc avec - les Tian Shan, les Monts Célestes, par un col à 3175m et un tunnel à 3200m... Le décor est planté... ou presque... Pour moi, ce sera 4 jours, 420km et 6545m de dénivelé positif... Le premier jour est marqué par un vent soufflant en rafales puissantes et sans la remorque qui m'assure la stabilité, je pense que j'aurais à plusieurs reprise tâté le bitume. L'après midi plus calme me permet d'allonger l'étape prévue. Le second jour, après un petit col, je rejoins le réservoir de Toktogul, immense lac artificiel tour à tour émeraude et turquoise enchâssé entre des 4000 aux neiges éternelles... Mais pour le contourner, je dois escalader d'innombrables molasses d'érosion ocres ou rouges, et le soir, j'installe mon bivouac près d'une rivière... à la même altitude que la veille... 1150m... mais avec 1650m de dénivelé sous les pédales. Donc tout reste à faire le lendemain, mais j'espère bien passer le col dans la journée.